Dans cette page vous trouverez tous les souvenirs inclassables ou en attente de trouver leur place .
Au Kram , le marchand de granite avait devant lui un baquet de bois à l’intérieur duquel se trouvait un cylindre en laiton. Entre les deux, il mettait de la glace en morceaux qu’il salait de temps en temps avec du gros sel afin de la conserver aussilongtemps que possible. Il versait dans le recipient une sorte de citronnade légèrement blanc-verdâtre pour la granite au citron ou rouge pour la granite à la fraise naturelle. Il faisait tourner le cylindre toujours dans le même sens, celui des aiguilles d’une montre.
Apres un certain temps, le liquide projeté sur les parois du cylindre de laiton, déposait une pellicule glacée et une légère buée se formait.
Ensuite, avec sa palette, le vendeur remplissait, au choix du client, soit des verres soit des cornets de tailles différentes.
Souvent, avant de retourner l’après-midi à l’école ou au lycée, je me payais, pour 5 ou 10 centimes, le kif de savourer une granite.
Mais ce qui différenciait ces marchands de granites, c’était leurs efforts pour attirer les clients. Tous les moyens étaient bons: pitreries ou parfois tenue vestimentaire extravagante. Je me souviens particulièrement de l’un d’entre eux qui portait un nœud papillon avec une petite lampe qu’il arrivait a allumer en faisant des contorsions des plus comiques avec sa tète et tout cela
accompagne de : « Sers pour Monsieur, Sers ! Sers pour Madame, Sers ! »
Un autre marchand qui se trouvait avenue de Paris, face au square de Verdun, se distinguait aussi par ses pitreries, ses contorsions, ses gestes et ses cris.
Le nom » la granite » est certainement d’origine sicilienne (de l’italien granita). Cependant « la granite » est légèrement différente de la granita, aussi appelée granita siciliana en italien, qui est un met rafraîchissant typique de la Sicile.
Elle se présente sous une consistance d’un sorbet à base de glace pilée.
Le Marchand de Frigolos
SOUVENT DANS LES APRES-MIDI, EN FIN DE SIESTE, DANS LES RUES OU SUR LA PLAGE, ON ENTENDAIT LE MARCHAND DE FRIGOLOS S’ANNONCER PAR SON CRI « FRIGOLOS ! FRIGOLOS BIEN GLACES » PARFOIS ACCOMPAGNES PAR « FRIGOLOS, D’CHEZ BEBERT ! LE VENTRE EN L’AIR ! Ou « FRIGOLOOO bien Glacé ! Chez BEBEERT bien Frappé ! »
« LI FRRRIGOULOUS BIEN GLACI FRRRIGOULOUOOOO CHI BIBERT LE RROI DI GLACES. »
En pleine canicule, il était difficile de ne pas céder a la tentation de savourer ces petits rectangles de glace enrobés de chocolat et recouverts d’un papier argenté. Le marchand de frigolo ouvrait sa boîte isotherme et nous offrait un choix de parfums : pistache, vanille, noisette, chocolat. On les savourait avec bonheur en les suçant jusqu’au bâtonnet servant de support à la glace.
Le Marchand de Caramel
Le marchand de Caramel et de gaufrettes parcourait les rues en faisant claquer une sorte de sabot (qui faisait un bruit équivalent à celui des castagnettes) :
« CARAMELS GAUFRETTES GAUFRETTES CARAMELS ». On le rencontrait souvent lorsqu’on allait se promener.
Il portait en bandoulière un cylindre en métal au-dessus duquel se trouvait une mini-roulette afin de participer à une loterie. On faisait tourner cette roulette et une languette de cuir marron pointait finalement sur le numéro qui permettait parfois de gagner…. Un ou deux autres de ces caramels marrons enrobes en partie d’un papier blanc !
Par son sens de la « promo », il attirait les enfants qui n’avaient aucun mal à persuader les parents de profiter de la « bonne affaire ».
Le marchand de figues de barbarie
Je me souviens du marchand de « indi » ou Guerguèb » – figues de barbarie. – qui souvent, a l’approche de l’été, s’installait
en face de chez nous, au Passage ou ailleurs. « Guergueb – Guergueb – Hara b’dourou – Hara b’dourou – (Figues de barbarie … ! Les 4 pour 5 sous) »
Le marchand avait une simple brouette où s’amoncelait une pyramide de ces fruits (mis au frais) de tailles différentes dont « les teintes pouvaient avoir des nuances allant du rouge vermillon au vert le plus éclatant en passant par celles du jaune ».
D’un goût succulent, leur seul défaut était qu’ils étaient recouverts de piquants à peine visibles. Aussi le marchand, avec dextérité, les coupait a l’aide d’un canif bien aiguisé : « Il coupait légèrement l’écorce épaisse une première fois en son milieu,en prenant soin de ne pas égratigner la pulpe puis, tranchait les deux extrêmités pour laisser apparaître la pulpe de couleurjaune (ou rouge/violet), avec les ‘pépins’ ». Il nous les présentait « comme dans un écrin ». Il n’y avait plus qu’à les « cueillir » et les déguster. Mais il fallait modérer la consommation afin d’éviter la constipation !
Le Rémouleur (L’aiguiseur de couteaux)
Exerçant généralement son activité dans les rues des villes et villages, le rémouleur proposait ses services pour aiguiser couteaux, ciseaux et autres rasoirs
On pouvait entendre dans les rues du Kram la « mélodie » caractéristique du rémouleur :» A liguiser les couteaux A liguiser liciseaux, Vlà le rémouleur ! » ou « A-la-guise-les couteaux, A-la-guise –les ciseaux……Remouleeeur » ou « Riiimouleurrrr!!! Aiguisez les couteaux, aiguisez les ciseaux!!! » (A dire en chantant)
Robavecchia (brocanteur)
Dans les rues du Kram, retentissait assez souvent le cri du robavecchia (brocanteur) : « roobavecchia ! roobavecchia !,Marchand des habits » ou « EÏ!!…. EÏ!!…. EÏROBAVEKIA!!! EÏ RRRBAVEC RRRBAVEC RRRBAVEKIAAAA!!! » ou « ROBAVECCHIA MARCHAND DE BOUTEIILES. »
« En fait, le « robavec », comme certains l’appelaient, achetaient les vieux habits, les bouteilles de verre et tous les objets dont on voulait se débarrasser. »
De l’italien « vieilles choses, vieilleries, vieux vêtements » (en fait le dialecte populaire était un mélange d’arabe, de français, d’italien et de judéo-arabe). Le « robavec » faisait des affaires surtout durant la période précédant le« grand ménage » ou on essayait de se débarrasser de vieux habits et autres objets inutiles.. Ses affaires ont prospèré lors du départ définitif des nombreuses familles qui ont du céder a des prix dérisoires (parfois pour une « bouchée de pain ») des objets qu’ils ne pouvaient pas transporter (meubles, cristallerie, les objets fragiles intransportables……). On l’appelait par la fenêtre : «ROUBAVEKIA! ET LA, IJAI CHOUF ! »
Marchand de Melha ou Bnina Le marchand de melha ou bnina portait un plateau d’osier sur la tète et vantait sa marchandise : Melha bnina ! Melha bnina !.
En fait ces graines de lin salées et grillées étaient vendues dans de petits cornets en papier.
En Tunisie, ce sont grillées et salées que les graines de lin sont consommées, habituellement après la sieste. Le sel aide le
corps à garder son eau sous les températures très chaudes. Les kramistes nomment cette collation « melhaoubnina » qui veut dire « salées et bonnes ».
Ces graines dont nous étions si friands ont la propriété de régulariser le transit intestinal et avaient été utilisées aussi pour la préparation d’un emplâtre qui servait à soigner certaines affections pulmonaires saisonnières. Grâce à son taux élevécd’oméga-3, elles réduisent les risques de souffrir d’athérosclérose. Elles régulent les rythmes cardiaques ce qui diminuent directement les risques d’arythmie. Semées, ces graines donnent de belles fleurs bleues.
Le marchand de Beignets – Le Ftairi
Au Kram, se trouvait le marchand de beignets. Juche a un mètre de hauteur sur un bâti carrèle, assis en tailleur devant sa bassine d’huile bouillante, il confectionnait des beignets chauds .Il était habille d’un large saroual noir et d’une chemise claire.
Il était coiffé de la chéchia rouge traditionnelle, il portait une moustache à la fois abondante et bien taillée.
« Le ftairi trônait au-dessus d’un immense bac à huile circulaire encastré dans ce bâti. « Des clients mangeaient debout leur beignet a l’huile, tout chaud, dans des assiettes de fer-blanc. A l’extérieur, d’autres clients attendaient d’être servis. Ils devaient rapporter des beignets pour toute la famille. »
« Ce qui m’impressionnait le plus…
« Le beignet prenait forme, la croute occupait le centre, les contours se boursouflaient.
L’aide, quant a lui, enfilait les beignets « a emporter » dans quelques brins d’alfa afin de nous faciliter le transport jusqu’à la
maison. Tout était minuté. »
Les marchands de beignets viennent traditionnellement de l’extrême-sud, des oasis lointains. Leur boutique est aussi logis : le « ftairi » et ses aides dorment dans la soupente 'sedda) attenante à l’échoppe. Un gros réveil trône derrière le ftairi : car il se lève avant le jour pour allumer son feu et mettre en train son poêle. Assis en tailleur, le maître trône derrière ses instruments.
Debout, respectueusement, de l’autre côté du poêle, le premier assistant rêve du jour lointain où, devenu patron, il aide à lafriture, encaisse l’argent, rend la monnaie, arbitre le conflit entre deux gamins qui, chacun, prétendent être le premier. Le second assistant est plus effacé. Il se dissimule au fond de la boutique. Son rôle consiste à jeter une poignée de copeaux dans le feu chaque fois que le maître lui fait signe. C’est la vestale des beignets.
Le ftairi en est le maître, et le premier assistant le » chargé des relations publiques »
Le « Breikeji »
Il était assis derrière sa table (parfois recouverte d’un marbre), avec à côté de lui un grand récipient rempli d’huile bien chauffée. Apres avoir huilé sa table, il prenait une petite boule de la pâte qu’il avait préparée préalablement, et l’étalait avec un rouleau a pâtisserie ; puis après avoir ouvert un œuf cru sur la pâte, il ajoutait du persil et de l’oignon (haches finement et « revenus » sur le feu) ; parfois, à la demande, il ajoutait un peu de thon (et de la purée de pomme de terre), et finalement une pincée de sel et de poivre. D’un tour de main, il refermait la pâte par-dessus et envoyait la brick « faite a la main » dans le
récipient bien chauffé et il en ressortait une brick dorée et craquante.
Le Marchand de Jasmin
« Il tient dans sa main son fond de commerce, son revenu, son capital et notre plaisir. Il vend des fleurs pour s’acheter du pain. Il offre des parfums pour permettre de survivre. C’est le marchand de poésie qui passe « Yasmin, yesminnne ! ». Qui refuserait d’embaumer celle qu’il aime, ou de se donner un instant le plaisir de humer le petit bouquet rond qui exhale une odeur de Paradis ? Qui voudrait rabrouer le pauvre marchand vagabond, le jasmin à la main ? Il est pauvre et modeste. Mais c’est pourtant un buisson embaumé qui se promène et nous tente. « Jasmin, le beau jasmin! ». Il va des terrasses de café aux plages de l’été, de l’ombre des ficus de L’avenue Habib Bourguiba aux ruelles de la Médina. Il est le printemps en balade et l’été en école buissonnière, il est l’ambassadeur des jardins en fleurs, il est la fraîcheur qui passe. « Jasmin, joli Jasmin! ».
Il sait élire la table où règne la bonne humeur et où on lui fera fête. Il tient entre cinq doigts son petit commerce. Mais, ne vousy trompez pas : c’est aussi pour l’amour de l’art et le plaisir des fleurs qu’il court les rues en répétant : «yasmine, yasminne»
Le marchand de glibettes et de cacahuètes
Le marchand de cacahuètes, muni d’un plateau en osier, garni de cornets de graines, qu’il portait au bout de son bras tendu ou posé sur sa tête sur un coussinet, s’annonçait de loin en criant dans un sabir franco-italo-arabe cacaouïa, gloub, simens,glibettes, pistaches… ».“Cacahuiette vala vala vala vala ah oui oui”
« C’est bien sûr notre fameux Ravaillac.. Cacahuetes, glibettes!!
Cela se passait comme ça à la plage de la Goulette; OUI-OUI (je l’appelle ainsi, mais on pourrait l’appeler Ravaillac suivant la plage) distribuait ses cacahuetes et avec une mémoire phénoménale, récupérait ses millimes le soir dans les différents cafés de la Goulette: café AMOR, café VERT, café Miled ou café Jilani..glibette, glibète (de l’arabe galbe “ coeur ”, “ pépin ”, “ noyau ”). Grain de tournesol et parfois de courge grillé et salé, passe au
four, qui se consomme à tout moment de la journée.
Dans les salles de cinéma, par rangées entières, les mangeurs impénitents de “ glibettes ” ne respectent personne : dans le noir de la salle, non contents de jouer leur affreux concert, ils ne cessent “ innocemment ” de cracher leurs épluchures sur leurs voisins de devant, lesquels font la même chose encore devant, etc.
Dans les principales artères de la ville, des vendeurs de “glibettes” s’installent parfois avec leur plateau en osier devant les salles de cinéma. Ce qui a fini par exaspérer certains directeurs de salle de cinéma qui ont décide d’afficher a l’entrée de leur salle : » Interdit chewing-gum et glibettes
Le Marchand de kakis
« BIAN FRAIS LI KAKIEEEE. »
Le marchand de kakis (une sorte de gressin salé, nature ou au sésame), avec son panier d’osier, qui était toujours là en cas de petite faim après une partie de volley, de raquettes de plages…on le servait aussi pour l’apéritif
Fahem..Le charbonnier.
-Sa mûrchandise noire était contenue derrière une charrette tirée par un âne ou une mule. Une bascule à main qu’il tenait en
équilibre par son milieu, reposée sur son tas de noirceur. Un plateau pour les poids et un autre plus large et plus grand pour peser son charbon souvent mouillé, une astuce malhonnête qui lui faisait gagner du poids et de l’argent. Il commençait d’abord à poser de gros petits blocs puis à mesure qu’il avançait dans sa pesée les morceaux devenaient de moindres importances
pour finir par quelques poignées de ‘shak’, poussière. Tout était question de choix dans la marchandise; pour un kilo la cliente ne récoltait que des menus morceaux d’importance, des brindilles calcinées, pour plus volumineux elle avait droit à de bons morceaux qui se consumaient moins vite dans le canoun. Mais même dans ce cas là, le ‘shak’ était obligatoire …
-’Melle éhdèkè lézèm, yè léllè…!’ (‘Il en faut madame…!’)
Le Vitrier ambulant
Une spécialité plutôt tenue par des italiens ou des maltais, rares étaient les juifs qui colportaient derrière eux une sorte d’échelle, sans échelon, adossé à sa voûte lombaire. Il criait souvent son métier comme tous les vendeurs ambulants…Une fois invité à réparer, il ‘pesait’ ‘ youzen’ d’un simple coup d’œil le travail puis annonçait son prix souvent amplifié pour arriver à
un compromis assez convenable. Une fois, le marchandage terminé, il prenait la mesure du’ foss’ ( carreau de vitre) et allaitl’acheter chez le droguiste.
Le ‘Tonsseur’ de chien
Spécialité des gitans, des gens du voyage ou des maltais. Il faut savoir qu’à la Goulette, rares étaient les personnes qui avaient un chien dans leur appartement sauf celles qui avaient une villa. Quoique, nous en avions, un de Bobby, c’était son nom. Le plus souvent, ils couchaient dans les balcons quand le temps le permettait ou dans les terrasses. La tonte se faisait
souvent à l’approche du printemps, le tondeur muni d’une tondeuse à main, taillait dans la masse chevelue, souvent court à lalimite de la ‘calvitie’.
Parfois quelques ‘tiques’ dormantes, dérangées par le ‘bourreau’, se retrouvaient coincées d’entre les lames. Très adroits et vifs, ils étaient payés au forfait. Et suivant la taille du chien. Ils tondaient aussi les moutons dans les
écuries. Toujours à la même période.
Le Plombier ou ‘lahem’ ( soudeur)
Il accumulait parfois les deux fonctions; une grosse boîte à outils derrière son dos ou en bandoulière, il arpentait les rues au son de sa voix ‘ Plombierrrr’ ‘Hlakmi’ ‘Lahèm’. Dans sa boîte, toute sorte d’outils pour ce faire. Il réparait indépendamment les fuites et les robinets, les cuvettes en zinc trouées et usées avec de la brasure en baguette spécialement faite à cet usage. Il
frottait d’abord les abords du trou avec une sorte de graisse blanche ensuite il posait un peu de ‘tungstène » en baguette qu’il chauffait avec un outil à bec. Une fois la pointe de son instrument rougie sur un primus, il apposait sur la matière à souder, autant de fois qu’il le fallait, le bec chauffé, pour étaler sa ‘mixture’ toujours en y ajoutant un peu de cette graisse dont je ne me rappelle plus le nom. Bref, sa soudure finie, il versait de l’eau pour bien se rendre compte de sa bonne finition. Ou alors, si le récipient était trop étroit, il soufflait dedans pour sentir si son souffle s’échappait ou était resté emprisonné dans la fiole.
Son prix était assez variable, bref il y avait toujours palabre à la fin des travaux.
La faiseuse de feuilles de briks
Une de nos voisines était une faiseuse de feuilles de briks. On la disait très douée, puisqu’on venait de loin pour en acheter chez elle. Je la revois aujourd’hui assise par terre, comme le marchand de beignets. Elle avait, à sa droite, une grande cuvette pleine de pâte molle, et devant elle, une poêle de cuivre renversée, chauffée presque au rouge, au-dessus d’un grand primus.
Elle prenait dans sa main un morceau de pâte avec lequel elle touchait délicatement la poêle chaude. Ce geste se répétait
jusqu’à couvrir toute la surface de la poêle, et à chaque fois on entendait un bruit qui ressemblait à celui d’un fer chauffé qu’on trempait dans l’eau. Ces bruits secs m’accompagnaient souvent quand je faisais mes devoirs. Puis comme par magie, elle détachait aisément la feuille et la posait sur la pile de feuilles déjà refroidies.